On connait surtout cet artiste pour ses productions de vases en verre à long col (vases dit « Berluzes ») réalisés dans les années 1920, dont la signature est souvent effacée par le temps. Industriel de l’agglomération nancéienne, André Delatte a produit des pièces de style Art Nouveau et Art Déco.
Tapissier, banquier, puis .... Maître verrier !
André Delatte est né à Châtenois (Bas-Rhin) en 1887 et décède à l’âge de 66 ans à Toulouse (Haute-Garonne).
Il a exercé différents métiers dont celui de tapissier et de banquier, avant de se prendre de passion pour l’art du feu pour enfin créer une verrerie.
André Delatte, des liens avec les Frères Muller
C’est en visitant la fabrique des Frères Muller, verriers à Lunéville (Meurthe et Moselle) qu’il se lie d’amitié avec eux.
Il se découvre une véritable passion et vocation pour le travail du verre artistique et tout particulièrement des procédés techniques, dont il acquiert une parfaite maîtrise pour travailler cette matière.
Les premiers pas d’André Delatte dans l’univers de la verrerie
En 1919, il ouvre un atelier de décoration sur verre dans le quartier du Faubourg des trois maisons à Nancy, après avoir étudié toutes les techniques de fabrication de verre.
Les Frères Muller seront un de ses principaux clients avec la décoration de leurs pièces en verre soufflées.
1921, enfin le premier four !
Un moment important pour tout maître-verrier, est l’acquisition et l’installation du premier four de cuisson pour produire des pièces en verre.
C’est en 1921 qu’il créée la société « Les Verreries de L’Est sa » à Jarville dans la banlieue de Nancy, grâce à cet achat.
Le succès est au rendez-vous et le nancéen agrandit la petite fabrique en 1926 en transférant ses ateliers. C’est à ce moment-là, qu’il devient un redoutable homme d’affaires.
Succès et développement de la société
Les ventes augmentant, le moment est venu pour lui de donner une dimension industrielle à son entreprise, qui ne connait pas la crise, à quelques années du crash de 1929.
De nouveaux ateliers sont implantés au 16 rue de Metz à Nancy et le siège social est installé quai Ligier dans la Capitale des Ducs de Lorraine.
Les locaux de l’usine de Jarville sont exclusivement consacrés au travail à chaud des pièces.
La taille de l’entreprise permet la création d’une cité ouvrière proche des ateliers. La production est constituée d’objets en lien avec l’art de la table : vases, coupes, bonbonnières et luminaires.
De style Art Nouveau, André Delatte s’adapte au changement avec l’arrivée du style Art Déco. Il s’appuie surtout sur le nancéien Paul Maheux, diplômé des Beaux-Arts, dessinateur et modeleur de talent pour le décor.
David contre Goliath : Delatte contre Daum !
Les effectifs de la manufacture atteignent les 60 ouvriers qualifiés. Les pièces souvent de bon marché plaisent à une clientèle qui préfère dans cette période des Années Folles (1920) dépenser dans les toilettes, diners et soirées.
Les employés sont souvent débauchés des ateliers des Frères Daum, dont les créateurs ont été membres de l’Ecole de Nancy (1904) et incontournables en évoquant cette période avec Emile Gallé.
Rappel : après 1914, l’Art Nouveau est déjà sur son déclin. L’Art Déco, appelé dans un premier temps Art Décoratif, commence à apparaitre vers 1910 pour se terminer en 1930.
Les Frères Daum prennent ce virage avec succès, en présentant des pièces exceptionnelles visibles au musée des Beaux-Arts de Nancy, dont ces cinq incroyables vases !
Procès en contrefaçon : les Frères Daum produisent depuis le début des années 1900, des vases à long col appelés « Berluzes ». André Delatte proposera également ce modèle à sa clientèle.
Les tribunaux sont saisis par les Frères Daum pour poursuivre ce dernier pour contrefaçon.
Finalement, cette accusation n’a pas été retenue, après que l’accusé est apportée la preuve que ces types de vases existaient depuis l’antiquité et étaient présents dans de nombreux musées.
Vases « Galinettes », une spécialité d’André Delatte
Les relations entre les Frères Daum et Emile Gallé n’étaient pas des meilleurs.
André Delatte appellera les vases « Berluzes », « Galinettes » peut-être dans un esprit de provocation… ou pour rendre hommage à ses trois filles qu’il a eu avec son épouse Laure Pommier.
L’origine des vases « Berluzes »
Les vases « berluzes » simples et élancés sont dérivés des bouteilles persanes des VIIe et VIIIe siècle.
Une peinture murale (836-839) de Sāmarrā’ (Iraq), palais d’al-Ğawsaq al-Ḫāqānī, représente deux danseuses œnophores, où figurent deux bouteilles qui inspireront des manufactures plusieurs siècles plus tard.
Tous les maitres verriers en ont produits : Jean Noverdy, Daum, Delatte, Legras …
L’origine probable du mot « Berluze » proviendrait du récipient utilisé par les ouvriers dans les verreries de Meisenthal et de Saint Louis, afin de pouvoir se désaltérer dans les ateliers, où par la présence des fours, la température était élevée. Cet objet haut d’une trentaine de centimètres s’appelait « Berling ».
Il était en verre et ressemblait à un vase soliflore légèrement incliné, avec un large col afin de permettre d’y insérer un tuyau métallique d’où s’écoulait de l’eau. De la réglisse était mis au fond de ce récipient. « Berluze » pourrait provenir de la déformation de « Berling ».
Une production adaptée au goût du public
André Delatte répond à la demande et au goût de sa clientèle. Ainsi, il oriente sa production vers des vases à décor gravés ou émaillés stylisés, répondant ainsi à la mode du style Art Déco.
Une concurrence féroce
Les établissements Daum, Gallé, Muller et la Cristallerie de Nancy sont présents sur un marché où les clients deviennent rares suite à la crise économique qui s’installe vers la fin des années 1920.
Ainsi en 1930, sous la pression des Frères Daum, Eugène Corbin ne se fournira plus auprès d’André Delatte. Ainsi il perd son plus gros client « Les magasins réunis » de Nancy.
La crise économique de 1929
Le crash boursier de 1929 aux Etats-Unis entraîne l’Europe dans une crise économique et les manufactures ferment l’une après les autres.
André Delatte n’échappe pas à la situation et cesse ses activités en 1933. Il essaie une reprise avec la création d’une nouvelle société dans la verrerie, mais sans succès. Il s’installera en Provence pour exercer jusqu’à la fin de sa vie le métier d’assureur.
Les différentes signatures des productions Delatte
On peut trouver des pièces sous la signature :
- ADELATTE suivi de Nancy
- AD
- Jarvil suivi de Nancy
- Loti suivi de Nancy et d’autres avec suivi le nom du créateur Michel Malherbe.
La cote d’André Delatte
On trouve en brocantes, antiquaires, sites d’enchères ou salles des ventes régulièrement des productions André Delatte.
Elles sont toutes en verre et non en pâte de verre. On peut trouver également des lampes, lustres ou vases avec des montures en fer forgé. Les décors peuvent être émaillés ou gravés à l’acide.
Pour des vases « Berluzes », la cotation varie suivant l’état de la pièce et la hauteur. Le prix varie de 40 € pour les plus petits à 250 € pour les grands, qui
peuvent atteindre le mètre de hauteur, mais plus rare.
La moyenne pour un vase « Berluze » est de 100 €. Sur ce type de pièce la signature peinte, a tendance avec le temps à disparaître, l’estimation dans ce cas sera revue à la pièce.
Les autres vases dans un style Art Déco, représentent des décors émaillés de végétaux stylisés ou des paysages et parfois des scènes antiques. Le décor intercalaire est parfois utilisé.
Leur cotation varie selon la hauteur et l’état. Comptez entre 200 € et 700 €.
La cotation des lustres à décor floral avec balustre et tulipes varie de 200 € à 700 €.
La cotation des objets de toilettes (flacons, poudriers, portes-peignes) varie entre 30 € et 100 €.
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Christophe Garland est un passionné de l’art verrier, retrouvez ses articles sur son blog – leverreetlecristal.wordpress.com