Jules Alexis Bayet n’est autre que le fondateur des Cristalleries de Nancy, spécialiste du flaconnage de luxe. Originaire des Avenières, il est à l'origine d'une grande manufacture lorraine. Voici son histoire.
Les Cristalleries de Nancy voient le jour gâce à la volonté de Jules Alexis Bayet.
C’est un homme exceptionnel, combatif et d’un naturel optimisme, qui a su mettre à profit les compétences acquises auprès d’établissements qu’il a fréquentés pour créer une verrerie indépendante spécialisée dans l’art du flaconnage à parfum.
Dans cet article, on vous invite à découvrir son histoire et le rôle qu’il a joué au sein des Cristalleries de Nancy.
Complétez ensuite votre découverte sur la folle épopée de Jules Bayet en parcourant ces 384 pages d’un ouvrage unique sur les Cristalleries de Nancy, qui s’articule autour de 5 chapitres, de sa création au clap de fin.
Fruit de quatre années de recherche intense et d’un partenariat avec l’Académie lorraine des arts du feu, ce livre a été publié par Gérard Caussaint, né dans une famille de verrier. Bonne lecture !
Comment tout a commencé ?
Jules Alexis Bayet est né le 8 mai 1882 dans la ville des Avenières (Auvergne-Rhône-Alpes). Il se marie avec Antoinette Joséphine Pierson le 11 août 1908 à Bertrichamps (Meurthe-et-Moselle).
Il a commencé son illustre carrière en suivant une formation chez Baccarat.
Il est même devenu le sous-chef dans son annexe de Rambervillers, à l’usine d’aviation d’Esnault-Pelterie de Lyon.
Il y fait la rencontre de grands parfumeurs. En parallèle, il acquiert de solides connaissances des diverses techniques de fabrication de flacons de parfum.
Mais alors que le travail est très intensif et mal payé chez Baccarat, Bayet prend la décision de démissionner de son poste à la taillerie de Rambervillers à la fin de la Première Guerre mondiale en raison d’une « insuffisance de situation » (salaire insuffisant).
Il travaille ensuite chez le parfumeur de génie, François Coty, et propriétaire de la Cité des Parfums à Suresnes. Il entraîne avec lui une trentaine d’ouvriers des Cristalleries de Baccarat.
Bayet est rapidement promu directeur de la cristallerie de Coty, qui est plutôt une taillerie située à Boulogne-sur-Seine. François Coty utilise des bruts provenant des Cristalleries de Choisy-le-Roi que la maison Coty se charge ensuite de tailler, polir et boucher.
Chaque jour, 300 ouvriers de l’atelier Coty fabriquent jusqu’à 1500 et 1800 flacons de parfums fournis par Choisy-le-Roi.
En même temps, François est confronté à des retards continuels de ses fournisseurs et des augmentations à répétition. Il décide alors de produire lui-même son verre, par lettre adressée à ses vendeurs le 12 janvier 1920.
Le milliardaire de la parfumerie fait alors l’acquisition de plusieurs verreries, dont la verrerie la « Mouzaïa » dans le 19e arrondissement de Paris et celle de Pantin Quatre-Chemins.
De son côté, Jules Alexis Bayet a compris que les manufactures existantes étaient dans l’incapacité d’honorer les commandes de flacons toujours plus nombreuses dans le monde.
En tant qu’homme d’affaires intelligent et fin connaisseur du monde du verre et du luxe, il décide de s’installer à Nancy et de construire sa propre cristallerie axée sur le flaconnage à parfum. C’est la naissance des Cristalleries de Nancy !
Le rôle majeur de Bayet dans le démarrage des Cristalleries de Nancy
Après le Premier conflit mondial de 1914-1918, Daum et Emile Gallé étaient les plus importantes verreries d’art à Nancy, Meurthe-et-Moselle.
Mais l’arrivée de Jules Alexis allait tout changer ! En 1920, il monte de toutes pièces le projet d’une verrerie spécialisée dans la fabrication de flacons de parfums.
Dans un premier temps, son choix s’est porté sur l’acquisition d’une verrerie en mauvais état à Fontenay avant d’opter finalement pour une construction neuve à Nancy.
Du coup, il acquiert un terrain de 52 000 m2 appartenant à la Société des Tonnelleries d’Adolphe Fruhinsholtz, situé en face des ateliers Daum.
Le 29 juin 1920, le conseil d’administration de cette tonnellerie mécanique, influencé par la décision de son président Alfred Krug, approuve la cession de ce terrain en friche à la société des Cristalleries de Nancy.
Le bureau se compose d’Alfred Krug (comme président), Gustave Simon (vice-président), Pierre Jacquemin (secrétaire), Jules Bayet (administrateur délégué) ainsi que Xavier Martin-Panescorse et A. Weiss (commissaires aux comptes).
Le 29 septembre 1920, Bayet dépose la marque de fabrique de la verrerie au greffe du Tribunal de Commerce de Nancy.
C’est le dessin à reproduire sur tous les objets de création, composé d’un cercle dans lequel figurent la mention « CRISTAL NANCY », les sigles « CN » et une croix de Lorraine. Mais au fur et à mesure, d’autres exemples de signature ont fait leur apparition.
Les Cristalleries de Nancy, le succès ne s’est pas fait attendre !
Fort de ces expériences personnelles, Jules Bayet souhaite faire des Cristalleries de Nancy un leader de la production de flacons en cristal, qu’il considère supérieur au verre dans l’art de la parfumerie.
En seulement un an, tout a été mis en place et le succès fut immédiat. La cristallerie parvient même à atteindre une renommée internationale.
Et en 2 ans d’activité, le nombre d’ouvriers est passé à 500, majoritairement des femmes. D’ailleurs, Bayet a tenu à préciser que la taillerie serait composée de personnel féminin tandis que la halle serait réservée aux hommes.
Dans l’art de la composition, les produits des Cristalleries de Nancy se distinguent par leur qualité irréprochable grâce à l’utilisation de matières premières soigneusement sélectionnées, le sable blanc de Fontainebleau.
Les productions des Cristalleries de Nancy sous la direction de Bayet
En plus des flacons de parfum, la manufacture conçoit des services de table, vases, saladiers, services de toilette et des objets de fantaisie.
Pour ses créations, la cristallerie s’est entourée des grands noms du design, dont le graveur Auguste Houillon au poste de directeur artistique et l’artiste Michel Colle.
1) Les flacons de parfum
Les Cristalleries de Nancy sont prisées pour leur capacité à répondre des demandes toujours plus exigeantes grâce à l’utilisation d’outillages perfectionnés. C’est pourquoi, les célèbres parfumeurs comme D’Orsay, Guerlain et Houbigant choisissent de se fournir chez elles.
De leur côté, les verreries Daum et Baccarat souffrent de cette nouvelle concurrence malgré les arguments de Jules Bayet : « {…} pas de concurrence, que des flacons que vous ne faites pas, pas de couleur sauf pour le flaconnage à parfum, pas d’appât par le gain de vos ouvriers ».
Cela s’explique par les prix de vente des flacons à Parfum signés CN qui sont largement inférieurs à ceux des créations Baccarat depuis 1917.
Résultat : dès 1921, les flacons conçus par Baccarat se trouvent signés des sigles CN comme les modèles « bouchon quadrilobé » et « bouchon cœur renversé » du célèbre parfumeur Guerlain.
On peut aussi citer le modèle « chauve-souris » fabriqué en cristal à l’occasion de l’exposition de 1925, repris par Baccarat l’année suivante.
Mais Guerlain n’est pas le seul, d’autres parfumeurs se tournent aussi vers cette nouvelle cristallerie pour la fabrication de leurs flacons. C’est le cas de Chanel, Fioret, Loti, Molinard, Grenoville, Vougay ou encore Lucien Lelong.
2) Les services de table
Les Cristalleries de Nancy ont réalisé plus de 140 services de table sous 50 formes. Chaque service comprend jusqu’à 38 ou 52 pièces (carafe à vin, verres, carafe à eau, broc à eau, etc.).
Le premier catalogue est édité en 1922 présentant 47 services sous 9 formes.
3) Les services et garnitures de toilette
En 1922, Auguste Houillon réalise le premier catalogue des Cristalleries de Nancy et créé pour elles 9 services de toilette.
Les produits de la verrerie possèdent des traits de ressemblance avec ceux de Baccarat, une affirmation confirmée par l’examen réalisé sur les modèles « taille côtes creuses et diamants étoilés » de chez Baccarat et les garnitures de toilette « Sapho » signées CN.
4) Des vases
Du côté de la production de vases, on compte près de 200 pièces en collection selon les catalogues.
On peut citer par exemple le catalogue édité en 1928 faisant apparaître 26 formes de vases, dont certains sont en cristal blanc et d’autres en cristal doublé.
La mort de Jules Bayet et la faillite des Cristalleries de Nancy
La crise de 1929 et le blocage des exportations vers les Etats-Unis ont mis en grande difficulté les verreries et cristalleries françaises, dont les Cristalleries de Nancy.
Pour essayer de redresser la trésorerie de la cristallerie, l’assemblée générale extraordinaire du 5 janvier 1931 approuve la proposition d’émettre 4000 actions de 500 francs chacune et de 3000 bons décennaux de 1000 francs afin d’assurer un revenu de 5,5 % net d’impôt par an.
Cela permet d’augmenter le capital, passant de 6 à 8 millions de francs.
Si les bons trouvent facilement acquéreur, ce n’est pas le cas des actions, qui ne sont pas toutes placées en 1933.
Le conseil d’administration du 28 mars 1931 prend également les décisions qui s’imposent pour faire face à la perte prévisionnelle pour l’exercice 1930, à savoir :
- Se limiter à un seul four pour faire fonctionner l’usine et stopper tous les autres
- Réduire le nombre de personnel verrier et des ouvriers de la taillerie
- Diminuer de moins de 10% le salaire des ouvriers
- Réduire le nombre d’heures de travail de la taillerie à 30 par semaine et celui de la halle à 35 par semaine.
Bien évidemment, cette diminution des effectifs et ce ralentissement de la production auront des répercussions directes sur les dividendes à verser aux nouveaux acquéreurs des actions.
Un an plus tard, la situation ne s’arrange toujours pas pour la cristallerie. Au point que J. Bayet organise la vente directe aux consommateurs du cristal avec des cotonnades, du chocolat et autres.
Finalement, la société des Cristalleries de Nancy ne parvient pas à sortir la tête de l’eau. Elle est déclarée en faillite le 7 avril 1934 et l’ensemble des biens entièrement liquidés.
Quelques mois plus tôt, Jules Alexis Bayet s’éteint le 11 janvier 1934 à Bertrichamps à l’âge de 51 ans.
Sources : Nancy, la cristallerie oubliée, Gérard Caussaint, ALORAF