Derrière ses grandes baies vitrées, de nombreux passants observent son univers somptueux. Certains d'entre eux franchiront la porte et découvriront un lieu chaleureux typique de l'École de Nancy. Une brasserie de la Belle Époque, devenue l'étendard de la culture nancéienne : l'Excelsior.
Bertand Munier est l’auteur d’un magnifique ouvrage, “l’Excelsior, l’esprit brasserie à Nancy”. Ce passionné d’Histoire nous fait voyager dans le temps pour découvrir un lieu iconique de Nancy.
Nous vous invitons à acquérir cet ouvrage richement illustré à la fin de votre dîner à l’Excelsior !
1871, signature du Traité de Francfort, une aubaine pour la ville de Nancy
Il est important d’aborder cette partie de l’Histoire lorraine, qui intervient bien avant la création de la brasserie Excelsior à Nancy.
Le traité de Francfort, signé en 1871, entraîne la perte d’une partie de l’Alsace-Lorraine, plus précisément du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Ni une, ni deux, Nancy devient la porte d’entrée des Alsaciens-Lorrains désirant rester français. Il est impensable, pour une bonne partie d’entre eux, de rester sous le giron germanique.
Le flux de population et de capitaux est alors important : il en résulte une main-d’œuvre abondante et qualifiée, ainsi que toutes les conditions requises pour une économie prospère.
Le développement artistique de la ville est en partie dû à ce flux de population. En effet, de nombreux artisans s’installent à Nancy, avec pour certains, une grande carrière à la clé.
La famille Daum est l’une d’elles. Durant cette même période, les frères Auguste et Antonin émigrent à Nancy.
Leur père, Jean Daum, rachète en 1878 la Société industrielle Avril Bertrand et C, première verrerie de Nancy. La manufacture devient “Verrerie de Nancy – services de table – demi-cristal”.
Le début d’une incroyable histoire nancéienne, qui s’exporte toujours aux quatre coins du monde.
En l’espace de 40 ans, la population de Nancy double, passant de 50000 habitants en 1870 à 120000 en 1914.
Les commerces et restaurants fleurissent, tandis que de grands professeurs émérites emménagent suite au transfert de la faculté de médecine de Strasbourg à Nancy en 1872.
1901, création de l'École de Nancy, ou Alliance provinciale des industries d'art
La brasserie Excelsior est à elle seule une vitrine de ce mouvement artistique qui fait la richesse de Nancy. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce patrimoine artistique a longtemps été oublié, mis de côté.
Il faudra attendre 1999 pour que la ville de Nancy décide de faire perdurer la mémoire de ce mouvement et des artistes qui la compose.
Nous avions abordé l’histoire de cet Alliance dans cet article : Visite du musée de l’École de Nancy, ça vaut le détour.
Mais alors, savez-vous ce qu’est réellement l’École de Nancy ?
Également connu sous le nom d’Alliance provinciale des industries d’art, l’École de Nancy regroupe artistes, architectes et industriels d’art dans un seul but : défendre leur production et promouvoir l’art décoratif lorrain.
La ville de Nancy est considérée comme le berceau de l’Art nouveau, le point de rencontre et de naissance d’artistes de génie qui ont marqué les arts décoratifs français.
Fer de lance de l’Art nouveau en France, l’École de Nancy est créée le 11 février 1901 sous l’impulsion d’Émile Gallé, qui en sera le président.
Accompagné de Louis Majorelle, Antonin Daum et Eugène Vallin pour les plus connus, cette association de trente-six membres défend la production des industries d’art.
Produire plus, à moindre coût, est également un idéal social de l’Art nouveau : l’art dans tous, l’art pour tous.
L’Art nouveau et ses arabesques s’appliquent à tous les domaines, à toutes les disciplines, sculpture, mobilier, vitrail, architecture, bijou …
La brasserie de l’Excelsior, le musée de l’École de Nancy ainsi que la villa Majorelle sont les derniers vestiges de cette époque révolue.
Ouverture du Grand Café Excelsior le 26 février 1911, un moment historique
Au début du XXe siècle, Louis Moreau, issu d’une grande lignée brassicole, souhaite acquérir un établissement à l’image de la qualité des bières commercialisées par la brasserie de Vézelise.
Cette entreprise familiale transmise de père en fils s’impose rapidement sur le territoire national et acquiert une réputation internationale.
Alors que l’hôtel d’Angleterre, très bien située, s’agrandit, il saute sur l’occasion pour acquérir la jouissance du rez-de-chaussée pour une durée de trente ans.
Proche de la gare, de la Banque de France, du théâtre Poirel et de la bourse du Commerce, son ouverture est très commentée par la presse régionale, annonciatrice d’un succès prometteur !
D’autant plus qu’à cette époque, la Place Stanislas a perdu de son lustre. La cité ducale se développe autour de la gare, non sans raison : le succès considérable de l’Exposition internationale de l’Est de France (1909) fait converger des milliers de personnes par ce secteur.
C’est alors que Nancéiens comme touristes viennent déguster des breuvages de premier choix comme la bière des frères Moreaux au Grand Café Excelsior.
Cette célèbre bière sera dégustée à l’Excelsior de 1911 à 1972, année où la brasserie “Moreau et Cie” baisse le rideau, absorbée quelques années auparavant par le groupe Stella Artois.
Il ne faut pas l’oublier, et c’est inscrit dans l’acte notarial, l’Excelsior est un café, la partie “restauration” s’invitera bien plus tard avec le groupe “Flo”, en 1987.
Dès l’ouverture de la brasserie de Vézeline, on parle de la beauté de sa grande salle, de ses immenses verrières sans oublier les lustres signés Louis Majorelle et Antonin Daum.
Et c’est ici que se trouve un véritable trésor.
Les plus grands noms de l’École de Nancy ont apporté leur pierre à l’édifice. Cet ensemble Art nouveau peut être aujourd’hui qualifié d’un véritable musée où l’on y déguste une cuisine française traditionnelle et raffinée.
Retour sur les grands artistes de l'École de Nancy à l'Excelsior
Durant la Belle Epoque, le foyer artistique nancéien était particulièrement vivace.
Cette quinzaine d’années qui précèdent la Grande Guerre de 1914 est un foisonnement d’une grande richesse artistique.
À cette période de l’Histoire, la France entière redécouvre le plaisir de la fête, c’est également la naissance des grands cabarets, les Folies Bergère, le Moulin Rouge, des lieux où pour la première fois, toutes les classes sociales se côtoient, artistes, bourgeois, ouvriers.
L’Art nouveau, dont Émile Gallé est l’un des principaux instigateurs, sublime la femme, la flore et la faune. Ce courant artistique prend racine à Nancy et prône un véritable désir de diffuser l’art pour tous, indissociable de la révolution industrielle.
Les plus grands artistes de l’École de Nancy sont appelés par Louis Moreaux, qui semble être un fervent admirateur de ce courant artistique.
À cette époque, en 1911, l’amour de l’Art nouveau décroît dans le cœur des Nancéiens au profit d’un nouveau courant plus géométrique : l’Art déco.
Cependant, Louis Moreaux estime son choix judicieux, les grands artistes de l’École de Nancy bénéficiant toujours d’une grande renommée.
C’est aussi un choix stratégique, associer le nom de sa brasserie aux grands artistes Nancéiens, vitrine de l’excellence et de ce qui se fait de mieux à l’époque, tout comme sa bière !
Parmi eux : Antonin Daum, Louis Majorelle, Jacques Grüber, Jean Pellerin, Léopold Wolff, Victor Guillaume et Jean-Louis Burtin.
Antonin Daum, maître verrier chef du département artistique
La genèse de l’histoire de la manufacture Daum est contée dans cet article.
Jean Daum, alors notaire originaire de Bitche, s’installe avec sa famille à Nancy suite à l’Annexion. Il fait l’acquisition d’une verrerie pour y installer à sa tête son fils Auguste, qui avait commencé une carrière de notaire.
Alors que la production est essentiellement utilitaire, l’arrivée d’Antonin Daum au département artistique en 1891 va bouleverser le modèle économique. Ses lampes, vases et verres au style organique connaissent un succès croissant.
Antonin Daum admirait Émile Gallé “Et j’étais bien intimidé : le verre, sauf chez Emile Gallé, déjà dans sa gloire, n’avait pas la cote”.
Épaulée à ses débuts par Charles Schneider, un jeune verrier prometteur, l’entreprise Daum ne tardera pas à recevoir ses premières récompenses.
Lors de l’Exposition Universelle en 1900, Daum reçoit un Grand Prix et lui apporte une notoriété internationale : c’est officiel, l’électricité éclaire le monde.
C’est tout naturellement vers ce génie artistique que les deux architectes de l’Excelsior se tournent pour la conception de l’éclairage intérieur. Et pour cause, Antonin Daum est le premier à habiller le verre de lumière !
Cette fois, les deux frères Daum ont devancé le grand génie du verre, Émile Gallé.
Les frères Daum s'associent à Louis Majorelle pour le luminaire
Comme souvent, le succès est le résultat d’une œuvre collective, comme l’illustre ce projet entre ces deux artisans/industriels.
Revenons d’abord sur Louis Majorelle, célèbre pour ses ferronneries.
Ébéniste-décorateur, Louis Majorelle reprend le petit commerce familial de fabrication et vente de meubles, suite au décès de son père.
En l’espace de quelques années, sous le génie créatif du fils, l’entreprise atteint des sommets, devant faire face à un volume toujours plus important de commandes.
Dans le cadre de son œuvre à l’Excelsior, Louis Majorelle introduit du mobilier en acajou massif en provenance de Cuba. En franchissant les portes de la grande salle de restauration, nous sommes interpellés par la chaleur que dégage l’ensemble.
Louis Majorelle aime utiliser le Tamarin, un bois de couleur chaude, provenant de l’île de la Réunion.
Il participe également à la réalisation de l’éclairage. En effet, c’est en 1890 que Louis Majorelle lance un atelier consacré au travail du métal afin de créer divers éléments décoratifs.
Bronze, cuivre ou fer forgé, l’artiste voit tout le potentiel de cette matière dès la fin du XIXe siècle.
Les frères Daum font appel à Louis Majorelle dès 1902 pour la réalisation de lampes à poser.
Concernant l’Excelsior, Louis Majorelle réalise les lustres à motifs feuillagés, tandis que les becs lumineux sont l’œuvre des ateliers Daum.
Pour en savoir plus, lisez cet article : la lampe Daum, première à habiller le verre de lumière !
Jacques Grüber, grand maître du vitrail Art nouveau
Alors que nous relions souvent Jacques Grüber aux vitraux, il faut savoir que son œuvre est plus large.
Membre fondateur de l’École de Nancy, Jacques Grüber est un peintre et ébéniste français. Il collabore dans un premier temps avec Antonin Daum au département artistique où il est chargé de réaliser les décors des vases en pâte de verre, destinés aux expositions.
Il sera également le créateur graphique de nombreuses affiches et menus imprimés dans le pur style Art nouveau. Cela nous montre encore l'importance de ce style artistique, également présent à travers la réclame.
En 1900, Jacque Grüber voua toute son énergie créatrice au travail des vitraux : ses clients sont nombreux et diversifiés, de la commande de particulier à celle des industriels et municipalités.
Ainsi, vous pouvez découvrir son travail à la banque du crédit Lyonnais ou encore à la Villa Bergeret.
À l'Excelsior, dix verrières sont présentes, colorées de jaune et orange. On y découvre des feuilles de fougère et de ginkgo, gravées à l'acide.
Les architectes Alexandre Mienville et Lucien Weissenburger
L'imposant immeuble de l'Excelsior abritait l'Hôtel d'Angleterre, un lieu de grande importance dans le paysage nancéien à la fin du XIXe siècle.
Dès l'arrivée de Louis Moreau au rez-de-chaussée, à la direction du Grand Café Excelsior, l'hôtel connaît alors un regain d'activité et un nouveau dynamisme. L'ajout d'un nouvel étage, rendu possible par les architectes Mienville et Weissenburger, nécessite 11 mois de travaux.
Les deux architectes d'origine lorraine vont alors réaliser un édifice qui ne laissera pas les Nancéiens indifférents. Le style Art nouveau abordé est influencé par leurs voisins germaniques : on y retrouve plus de formes géométriques et moins d'ornementations végétales.
L'une des caractéristiques de ce projet audacieux est que l'œuvre est bien plus présente à l'intérieur qu'à l'extérieur, le clou du spectacle étant la salle de restauration qui regroupe les plus grands artistes de l'École de Nancy.
On y retrouve une ode à l'artisanat et au savoir-faire : vitrail, ébénisterie, sculpture…
On dit souvent que l'Art nouveau est un art total et pour cause, chaque corps de métier travaille ensemble pour la confection d'une œuvre globale, et la brasserie de l'Excelsior à Nancy en est la parfaite illustration.
Quelques mots sur ces deux architectes :
Lucien Weissenburger (1860 - 1929)
Lucien est l’un des principaux architectes Art nouveau en Lorraine, membre du comité directeur de l’École de Nancy. Il deviendra une personnalité centrale de l’architecture nancéienne.
De son imagination sortiront de magnifiques hôtels particuliers dont la villa Bergeret à Nancy ou encore sa propre demeure, boulevard Charles-V.
Ce n’est pas tout. Sa notoriété lui ouvre les portes des grands industriels tels que Majorelle, Bergeret, Royer, ainsi que pour la Compagnie du Tramway.
Il sera même l’architecte personnel de la famille Corbin, propriétaire des Magasins Réunis. Sur le modèle économique des grands magasins parisiens, la famille Corbin invente un nouveau mode de distribution des objets, en vendant plus mais moins cher une grande variété d’article.
Lucien Weissenburger sera en charge de l’harmonisation des façades. Aujourd’hui, ce bâtiment abrite les magasins de la Fnac et le Printemps.
Le grand café Excelsior sera l’une de ses œuvres majeures.
Alexandre Mienville (1876 - 1959)
Formé à l’Erba (école régionale des beaux-arts), ce Nancéien de naissance ne quittera jamais la cité ducale. Il installe ses bureaux au n°80 place Stanislas puis au n°11 rue des Michottes et enfin au n°21 rue de Metz.
1972, un vent de destruction plane sur le secteur de la gare
Cette année marque le changement de propriétaire de l'Excel, qui passe entre les mains de la société Stella Artois, qui lui évite de peu la destruction.
En effet, une vague de démolition de bâtiments historiques touche Nancy. La brasserie Thiers, la pâtisserie Mallard et ses immeubles voisins font les frais d'un projet de refonte totale du quartier de la gare, décidé par la municipalité.
La période faste des "Trente Glorieuses" (1945 – 1975) créé des ambitions démesurées, principalement guidées par la recherche de son propre intérêt plutôt que celui du bien général, au détriment du patrimoine historique de la ville.
Quant au Grand Hôtel d'Angleterre, il ferme définitivement ses potes.
Le restaurant Excelsior classé Monument historique le 22 juin 1976
La salle de la brasserie Excelsior, ainsi que sa façade et toiture sont classées Monument historique depuis 1976. La rampe d’escalier de Jean Prouvé, qui donne accès au sous-sol, n’est pas classée.
La brasserie est ouverte 7 jours sur 7 de 8h à 00h30, les dimanches et lundis jusqu’à 23h.
Pensez à réserver => www.excelsior-nancy.fr