Héritage d'un savoir-faire verrier ancré au cœur des Vosges, Portieux fut fondée en 1705. Le catalogue de la verrerie présentera jusqu'à 8000 références, recevant même une médaille d'or à l'Exposition Universelle. Récit d'une grande histoire, autant industrielle qu'humaine.
En l’espace de deux siècles, la cristallerie de Portieux est devenue la plus importante entreprise vosgienne.
Employant plus de mille salariés au plus haut de son activité, la cristallerie de Portieux travaillait un cristal supérieur, à 24% de plomb (à la différence de la cristallerie Baccarat, qui contient 31% de minium de plomb).
En 2021, la cristallerie ferme définitivement ses portes.
Où se trouve Portieux ?
Comme pour la cristallerie Baccarat, la verrerie de Portieux tient son nom de sa commune où elle exerce son activité.
Mais attention.
La commune est aujourd’hui divisée en deux parties : Portieux, et la Verrerie de Portieux (située à 3km).
Portieux se situe dans le département des Vosges et la région Lorraine. C’est d’ailleurs l’une des étapes de notre guide touristique : que faire dans les Vosges ?
Elle se trouve en plein cœur de la forêt de Charmes qui lui fournissait le bois nécessaire à l’alimentation des fours, ainsi que la fougère pour le salin.
L’emplacement idéal.
En effet, on y trouvait les matières premières nécessaires à la fabrication du verre : bois, eau, sable. Mais surtout, Portieux présentait un avantage stratégique géographique, la commune était proche des grands axes routiers de l’époque.
L’élargissement en 1703 de la route Charmes-Rambervillers constitua un atout supplémentaire.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que ce coin de Moselle ait pris le nom de Port, puisque jadis il servait de relais de la navigation et surtout à l’embarcation des bois qui, tirés des immenses forêts de la région, étaient réunis en radeaux dirigés vers Nancy et Metz.
En savoir plus ? Découvrez notre article sur la fabrication du cristal.
Au plus fort de l’activité de la cristallerie, la commune de Portieux comptait plus de 3000 habitants en 1911, pour ensuite décroître d’année en année (1268 habitants recensés en 2016).
Une variation de population fortement corrélée à l’activité de la cristallerie, comme l’illustre ce graphique ci-dessous :
La verrerie de Portieux et son histoire au XVIIIe siècle
Fondée en 1705 par François Magnien, la cristallerie de Portieux voit le jour dans un contexte plus que favorable au développement des verreries.
Les débuts de la verrerie
Il est important de préciser que la Lorraine avait accordé en 1448 toutes sortes de privilèges aux verriers.
En effet, les verriers étaient assimilés à la noblesse. Par exemple, les verriers avaient le droit de prélever le bois et l’eau nécessaire à leur production.
Une industrie privilégiée.
C’est en partie grâce à cette dérogation que la Lorraine voit son industrie verrière éclore, sans oublier les matières premières en abondances.
François Magnien va avoir l’autorisation de créer une verrerie sur le site de Portieux. Il obtiendra de nouveaux privilèges pour mener cette nouvelle verrerie française vers le succès.
Trois lieux de production
- En 1710, une usine prend place à 4km de Portieux, où il y fabrique du verre à vitre, on appellera cette usine « verrerie des bois », par opposition à celle de Portieux, qui est installée au village et qui fabrique des gobelets.
- En 1714, une troisième verrerie est créée sous la demande du Duc de Lorraine, afin d’y fabriquer des glaces à miroirs ainsi que des verres ronds pour vitre. Il s’installe en face de la fontaine de Viller sur la rive gauche du Mori, c’est l’emplacement de la cristallerie actuelle.
En 1718, la décision est prise de fermer l’usine de Portieux-village et de la fontaine de Viller afin de regrouper l’ensemble sur la nouvelle manufacture.
François Magnien reçoit alors 9000 livres du Duc Léopold pour l’agrandissement de la verrerie.
« Léopold, à nos chers et bien aimés les sieurs François Magnien, Joseph Crétal, prévôt de Châtel, François Dordelu, et François Dubois, gentilhomme verrier demeurant à Portieux ... Et, à cet effet, avons par grâce spéciale et en faveur de ladite société, prorogé encore pour vingt années les privilèges par nous accordés, sur ce, audit Magnien ... »
Léopold, Duc de Lorraine, Le 22 juillet 1718 Tweet
Le rôle déterminant de François Magnien
D’après les archives de la verrerie, on constate que de 1705 à 1720, François Magnien est très peu présente sur le terrain.
Cela peut s’expliquer par sa stratégie de développement : il se devait de trouver des fonds et des appuis auprès du Duc de Lorraine, ce qui en fait n’était déjà pas si mal.
Le travail du verrier de l'époque
Le nouveau centre industriel portera le nom de « Magnienville », clin d’œil à son créateur. À cette époque, 100 ouvriers travaillent au côté de François Magnien.
On apprend des renseignements intéressants sur les dates et la durée de la “Réveillée”, c’est-à-dire la durée de la campagne de fabrication des verres.
Une année coupée en deux :
Ces ouvriers travaillaient encore comme ceux du XVIe siècles, c’est-à-dire six mois de travail de novembre à fin avril, quand la température extérieure n’était pas trop élevée, et six mois pour réparer et approvisionner la verrerie.
Les verriers de cette époque étaient des gens rudes, un peu hommes des bois, travaillant nus ou presque.
Habitant pour la plupart d’entre eux dans des huttes en bois enfumées, entourés d’une flopée de mioches, qui parlent un langage devant se trouver à cent lieues du langage raffiné de la cour du Duc de Lorraine.
Première crise pour la verrerie de Portieux
30 années de labeur.
Le 26 décembre 1746, le gouvernement français frappa les verres lorrains d’un droit de douane sur les ouvrages de verrerie. C’était fermer le marché français aux verriers lorrains, il ne restait que leur pays, bien petit pour une aussi grosse production.
Mais ce n’est pas tout.
La verrerie de Portieux va rencontrer des difficultés économiques pendant près de 30 ans. Elle est contrainte d’éteindre un four par manque de salin, celui-ci étant exporté par la France pour rentrée d’argent jusqu’en 1780.
Douze l’avaient été précédemment dans diverses verreries lorraines, toutes réduisaient leur travail.
« Le salin, qui provient des cendres d'herbes (fougères d'où le nom de verre de fougères) et de bois, est la matière qui entre dans la composition du verre, la beauté du verre dépend singulièrement de la bonne qualité du salin ... »
Pendant une centaine d’années, la verrerie de Portieux s’est développée et a créé une communauté humaine, avec ses maires et son clergé.
Le développement économique s’est fait d’abord dans un contexte de privilège et de monopole, puis dans un contexte de plus en plus concurrentiel.
Mais les règlements, les privilèges, les règles d’exploitation des bois, les droits de douane, constituaient un ensemble de textes qui conditionnait le travail, règles considérées comme des entraves au libre développement économique.
Portieux, au lendemain de la Révolution Française
L’hiver 1789 fut un des plus terribles de l’histoire.
Le froid, le gel, une crise économique, l’augmentation des prix du pain, entrainant une crise de consommation des produits de l’artisanat français.
La verrerie, considérée comme royale par un arrêt de 1764, perd soudain tous ses privilèges la nuit de la révolution française.
La verrerie doit maintenant acheter son bois, qu’elle exploitait gratuitement jusqu’alors. (Laissant la forêt dans un état pitoyable).
Les communautés villageoises de cette époque appréciaient très modérément les verreries. À Darnay, pays de verreries et d’immenses forêts, on s’élevait contre le trop grand nombre d’usines à feu, qui sont cause de la destruction des forêts.
En 1796, Le domaine de Magnienville est acheté par les directeurs qui l’exploitaient auparavant : MM. Lamy et Bour. Une excellente affaire. 28.800 livres pour les onze corps de bâtiments, dont sept servent d’habitation aux propriétaires et ouvriers, et le reste de four, halles et séchoirs.
La verrerie de Portieux au XIXE siècle
Pendant un siècle, la verrerie de Portieux se développe dans les nouvelles conditions créées par la Révolution, la concurrence nationale et internationale est rude et l’usine doit moderniser à plusieurs reprises ses fours et ses halles.
Le nombre des ouvriers augmente et le patronat améliore et étend le parc immobilier pour loger ses ouvriers, dont les conditions de travail restent très dures.
Avant la Révolution, il y avait, dans les Vosges, dix-neuf verreries; la statistique du département n’en compte plus que six en 1802. Magnienville, disait le préfet des Vosges en 1802, est en pleine activité et conduite par des propriétaires riches et intelligents.
En 1802, la verrerie compte seulement 74 ouvriers.
L'alliance Vallerystal-Portieux
Passant de père (Jacque Mougin, Gendre de Bour), à fils (Édouard), à petit fils (Xavier Mougin), ce dernier va sceller une alliance et un rapprochement en 1871 avec les cristalleries de Vallérysthal (établies en Lorraine des 1707).
En fait, il s’agissait bien d’une vente, car à cette époque, les propriétaires de Portieux avaient autant envie de vendre que Vallérysthal d’acheter.
Cette alliance verrière va permettre de créer une nouvelle dynamique, confrontant idées, techniques, savoir-faire des deux cristalleries. Les capacités de production sont immenses, plus de 2200 ouvriers sont présents.
La guerre de 1870 amènera bien des vicissitudes, comme une énorme Taxe de guerre que doit payer la cristallerie sur le dos de ses salariés, à l’Empereur Prussien.
Mais il y a du bon.
En 1870, Après le traité de Francfort (1871), Nancy devient la porte d’entrée et le premier point d’accueil des Alsaciens-Lorrains qui veulent rester français. Ils vont y apporter leurs capitaux, savoir-faire, main-d’œuvre.
Ainsi, l’exemple réussi de transfert est celui de la cristallerie Daum.
Les années 1870-1914 seront la période d’or des verriers. En passant par René Lalique, Émile Gallé, Antonin Daum, la cristallerie Baccarat, cette période Art déco est inscrite dans la fabuleuse histoire du renouvellement des arts décoratifs.
La verrerie de Portieux va profiter de cette main-d’œuvre, et construit des logements ouvriers en 1874. Elle a besoin de main d’œuvre qualifié sur qui elle peut compter. Il faut alors songer à la sédentariser.
Elle emploie plus de 800 personnes en 1886, pour une population recensée de 2428 habitants.
La consécration du travail en 1878.
La verrerie de Portieux reçoit une médaille d’or à l’exposition universelle.
Une visite prestigieuse.
En remerciement du formidable accueil reçu lors de sa visite, la Maison Impériale Russe (Grande Duchesse Vladimir) fait un don de 500 frs à la Caisse de Secours des Ouvriers.
La famille Impériale Russe était exclusivement cliente de la cristallerie Baccarat.
C’est à cette époque que l’on voit l’arrivée d’une nouvelle mode dont Portieux va prendre part : l’Ouraline.
Il s’agit d’un type de verre particulier, ce dernier est réalisé à base de poudre d’uranium, que l’on ajoute au mélange vitrifiable.
C’est ce qui lui donne sa couleur unique, entre le vert et le jaune. Ce verre fluorescent sous une lumière UV se diffuse massivement dans les foyers français entre 1880 et 1920.
Aujourd’hui, sa fabrication est interdite, ce sont donc des pièces de collection !
La transformation de l'usine de Portieux en 1886
En 1886, les rustiques halles, les modestes fours sont remplacés par une magnifique halle mesurant 134 mètres de long sur 21 de large.
Deux machines à vapeur animent la taillerie, chaque ouvrier a sur son tour un robinet d’eau, un robinet de gaz, les salles sont pourvues de chauffage à la vapeur et d’appareils de ventilation.
Portieux au XXe siècle
Les choses vont s’accélérer. En 1900, la verrerie est en plein essor, c’est l’ère industrielle, les grandes découvertes, l’épopée coloniale.
Cette période sera la consécration pour la manufacture, qui verra sa croissance atteindre des sommets.
Un véritable chantier.
- Portieux lance la construction de la Coopérative Ouvrière en 1900, qui fonctionnera pendant plus de 80 ans en employant plusieurs salariés.
- Construction de l’Église juste en face de la coopérative.
- Puis en 1905, construction de la pension des apprentis. Cette décision faisant suite à la dénonciation grandissante contre le travail des enfants et leur misérable condition. La pension abrite 100 enfants, de 13 à 15 ans.
La cristallerie emploie alors plus de 1000 personnes, dans une ville en quasi-autarcie avec médecin, pharmacie, magasins, cités d’habitation pour 385 familles.
La cristallerie est un véritable Eldorado, vivant une époque florissante avec ses ouvriers venus de toutes les régions de France et de pays limitrophes, formant une internationale des savoir-faire.
« L'entreprise et la population ne faisait qu'un »
Jean-Pierre Ferry Tweet
Sur cette illustration de l’époque, on s’aperçoit de l’envergure du site verrier.
Les cités ouvrières sont nombreuses. La flèche rouge représente l’endroit par lequel le visiteur de 2019 pénètre dans le site verrier.
Adrien Richard succède à Xavier Mougin comme directeur en 1905.
Les chiffres donnent le tournis.
Ce n’est pas moins de 40 000 pièces produites chaque mois en 1914. Plus de 8000 références sont proposées.
Incroyable si l’on compare à certaines cristalleries actuelles, qui ne proposent pas plus d’une centaine de références. Les deux guerres créent un contexte économique difficile, la verrerie de Portieux ne sera pas épargnée.
Un changement de cap ?
En 1948, la verrerie quitte le domaine artistique pour se consacrer à la verrerie mécanique. C’est un échec, une transition probablement impossible du fait de l’amour de ces artisans verriers pour leur métier. La cristallerie de Portieux restera dans la famille Mougin jusqu’en 1981.
La cassure depuis 1981.
C’est l’année noire de la liquidation de l’usine et des douloureuses mises en chômage. De 1982 à 1995, les Portieux ont vécu et subi quatre liquidations judiciaires, perdant plus de 200 salariés.
Depuis la faillite de 1981, la cristallerie essaye de survivre, passant de main en main (dont Jean-Paul Demey), de fermeture à reprise jusqu’en 1996, date à laquelle la cristallerie est reprise par M.JACQUET, propriétaire de la Faïencerie de Niderviller et de la Cristallerie Vallérysthal, ainsi que de la faïencerie de St Clément-Lunéville.
2011 :
Sept personnes travaillent à la manufacture, dont cinq verriers.
2014 :
Le dernier four de la manufacture est éteint.
2019 :
Il est encore possible d’acquérir les anciennes créations dans le magasin d’usine situé sur le site verrier. Un EcoMusée retrace l’histoire de la verrerie.
Découverte du bougeoir-candélabre Dauphin de Portieux, une signature
Il existe un bougeoir Portieux qui est reconnaissable entre tous. Cette pièce iconique est devenue la signature Portieux. Ce candélabre a même inspiré certaines créations de la célèbre manufacture Baccarat.
Afin d’en apprendre davantage, nous vous recommandons d’acquérir le livre commémoratif du tricentenaire de la verrerie de Portieux, disponible à l’ÉcoMusée.
Pour terminer, ne manquez pas jeter un coup d’oeil à nos bracelets sur cordon.
Notre Mission : Promouvoir l’art verrier à travers un bracelet réglable.
Une superbe idée cadeau vitrine du savoir-faire verrier !
6 réponses
Vous remercie très chaleureusement pour cette présentation excellente de la verrerie de PORCIEUX histoire que j’ignorais totalement. Je possède en effet tout un service de verres et au moins je peux donc maintenant le situer dans ses origines.
Mille MERCIS
Toutes mes sincères amitiés
Je suis nanceenne d’origine….
Vive la Lorraine….
Bonjour Madame Denis,
Merci de votre commentaire, c’est un plaisir.
À bientôt,
Michaël
bonjour ravie de revoir cet endroit je travaillais chez Vessiere en 1963 a Nancy rue oberlin et mon chef
m emmenais parfois a Portieux pour prendre du materiel que de souvenirs j avais 17 ans j adore vos rubriques
merci
Bonjour ,
Ayant épousé une fille ,soeur , tante , belle soeur de verrier de la cristallerie de Portieux , je suis bien content d’ avoir trouvé ce site , n’ étant plus dans les Vosges depuis 40 ans .
merci .
Didier
Coeur de verre, le film, parle du cristal de bohême !
Parlons en !!
Merci, nous irons jeter un oeil !
Au plaisir,
Michaël